31 janvier : Gérard Férey à Savoir en Liberté

Publié le par savoirenliberte

Au cours de la conférence du 31 janvier, le chimiste Gérard Férey a répondu très précisément aux questions que nous avions préparées. Il a commencé par nous expliquer pourquoi il avait accepté notre invitation, et nous a raconté son parcours. Pourquoi est-il venu nous voir, nous qui sommes élèves en banlieue ? D'après lui, nous sommes des élèves comme les autres. En d'autres termes, nous ne sommes pas inférieurs aux élèves scolarisés dans les établissements parisiens, donc nous ne devons pas avoir de complexe d'infériorité sur ce point-là. De plus, Gérard Férey a toujours aimé le contact avec les jeunes ; il a d'ailleurs été instituteur avant de devenir ce qu'il est maintenant, et il a toujours adoré enseigner. D'après lui, nous sommes l'avenir. Son principal but est de nous informer sur la chimie avec honnêteté et sincérité, sans propagande. Il nous a dit « Vous n'êtes pas encore formatés par les médias ! », et c'est aussi pour nous mettre en garde contre la diabolisation actuelle de la chimie qu'il est venu nous rencontrer. Et puis, il nous a dit en riant « qu'on ne peut pas résister à Madame Robert », et ça, c'est une information importante dont il nous a fait part et que l'on ne peut pas négliger !

Amine ZEROUAL et Nabil GARET

 

Nous avons d'abord demandé à Gérard Férey ce qu’il aurait fait, ou voulu faire, s’il n’avait pas fait de la chimie ? Son rêve d'adolescent était de devenir chef d'orchestre ; en grandissant il souhaitait devenir chirurgien. Cependant, issu d'une famille modeste, il a préféré suivre la voie familiale et devenir apprenti instituteur.

Est-ce que, petit, vous pensiez arriver là où vous êtes aujourd'hui ? "Non, c'est les surprises de la vie. Quand on est jeune, on rêve, mais on ne sait pas où on va arriver."

Il nous a confié que son parcours a été très peu classique. Il a passé son enfance à Bréhal, dans la Manche, qu'il a quitté à quatorze ans. Il est ensuite parti à l'Ecole Normale d'instituteurs de Saint-Lô, où il est resté quatre ans. Il a ensuite enseigné pendant trois ans au collège de Saint-Clair-sur-l'Elle : c’était une ferme réhabilitée et transformée en collège ! Ensuite, il a rejoint la Faculté de Caen, où il est resté quatre ans de 1963 à 1967. Il y a obtenu la licence et le doctorat. Ces diplômes en poche, il a rejoint l'université du Mans : il a débute comme assistant puis est passé par tous les différents grades (assistant, maître-assistant puis professeur), pour terminer vice-président de l’Université. Il est resté dans cette université pendant vingt-et-un ans. En 1988, il a rejoint le CNRS, à Paris, où il était directeur adjoint du département de recherche en chimie, il y est resté quatre ans. En 1996, il a participé à la création de la nouvelle université de Versailles et a créé l'Institut Lavoisier, dont il est resté le directeur de 1996 à 2008. Enfin, en 2003, il a été élu à l'Académie des Sciences, et, en 2010, il a reçu la Médaille d'Or du CNRS, la plus importante des distinctions scientifiques françaises.

Etes-vous satisfait de ce parcours ? Il nous a avoué qu'il était plutôt satisfait. En effet, il y a de quoi être satisfait et pas qu'un peu ! Nous le remercions d'avoir répondu si sincèrement à nos questions.

Rawal MUHAMMAD et Samir NAHI

 

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Comme notre corps en témoigne, puisque de nombreuses réactions chimiques s’y passent, la chimie est omniprésente. La chimie est aussi vieille que l’humanité ; elle est, à l’origine, avant tout un moyen de survie, comme en témoignent L’Âge du bronze ou l’Âge du fer. Puis elle est devenue un art, l’alchimie, basée sur l’observation et le secret mais sans fondements logiques : on mélange, on regarde ce qui se passe mais on garde le savoir pour soi. Il s’agit de ce que Gérard Férey appelle une « cuisine mystérieuse d’initiés ». La chimie est devenue réellement une science avec Lavoisier, qui a démontré, en 1778, que l’oxygène est essentiel à la vie. La chimie devient alors une création raisonnée. Hélas, la révolution a décapité Lavoisier en 1794, au prétexte que « la République n’avait pas besoin de chimistes ». Les huit grands chimistes préférés de Gérard Férey sont : Lavoisier, Berzelius, Berthelot, Lehn, Marie Curie, Grignard, Sabatier et Pauling.

Véronique REN et Leïla ESSAYOUMI

 

Qu’est-ce qui motive le chercheur ? La beauté, le plaisir intellectuel, la gratuité de la découverte, l’argent, la célébrité ?

« Le chercheur cherche tout d’abord pour le plaisir intellectuel. Ce qui motive d’abord le chercheur est tout simplement la curiosité. Le chercheur est en face de l’inconnu, et crée, fabrique à partir de l’inconnu (il essaie de saisir l’insaisissable, un peu comme on essaierait de saisir un nuage). La volonté de saisir l’insaisissable est fondamentale dans le métier du chercheur, mais le faire et l’expliquer est encore mieux. Le chercheur ne cherche jamais pour la célébrité, mais juste pour la beauté de la recherche. La beauté, le plaisir intellectuel, la gratuité de la découverte sont souvent l’apanage des chercheurs académiques. La recherche est donc un passionnant métier. »

Propos recueillis par Jaurès AKA MOBIO et Charujan THAVENDRAN

 

Y a-t-il une éthique du chercheur ? Quels sont les rapports entre la morale et la science ? Y a-t-il des limites morales ou juridiques à la recherche ? Que penser de l’utilisation des cobayes en laboratoire ?

"La recherche et l’éthique vont de pair. Pour le chercheur, la recherche est essentielle. Le chercheur est en perpétuelle quête de vérité : si une question ou un phénomène le taraude, il va tout faire pour trouver la solution. Le chercheur mène ses recherches de manière à trouver une solution à son problème ou une réponse à sa question, mais il ne dépasse jamais certaines limites morales, plus ou moins imposées par la société. Malgré cette quête de la vérité, certains chercheurs malhonnêtes peuvent travestir la recherche, mais ces tricheurs encourent des peines, car la fraude scientifique, qu’elle soit petite ou grande, est toujours finalement démasquée. Arrive un jour où un autre chercheur veut reproduire l’expérience du tricheur et n’y parvient pas : de ce fait, le masque du tricheur tombe.  Les manquements à l’éthique de la recherche influencent à la fois la qualité des résultats, la rigueur scientifique et les relations instaurées entre les chercheurs. Les tricheurs doivent donc toujours rendre compte de leurs fraudes. L’utilisation des cobayes en science peut être perçue de différente manière, mais le point le plus important à souligner, c’est l’importance de la survie des espèces. Pour que nous, hommes, survivions, nous devons utiliser les animaux pour tester tous les produits, médicaments, vaccins, etc. Pour pouvoir maintenir notre espèce. Nous ne sommes pas particulièrement fiers d’utiliser tous ces animaux, et notamment les souris, mais c’est le meilleur et le seul moyen. L’Histoire nous a, hélas, donné des exemples atroces d’expériences menées sur des êtres humains. Toute vie est respectable, certes, mais la vie d’un homme vaut davantage que celle d’un animal. Le chercheur doit toujours avoir comme éthique le respect de l’humain."

Propos recueillis par Walid TOUIL et Walid BELLABAS

 

Que penser de la diabolisation actuelle de la chimie, aussi bien dans les discours sur l’environnement que dans le discours sur la santé ?

Depuis quelques années la chimie est diabolisée, et doit faire face à une grande malhonnêteté de la part de gens qui publient des livres dénigrant l’industrie chimique, et dont l’appât du gain constitue la principale motivation, créant ainsi une peur injustifiée au sein des populations. Ces pseudo gourous entraînent dans leur sillage des gens qui ne comprennent rien à cette science fondamentale, et qui finissent donc par en avoir peur.

De nombreuses théories voient régulièrement le jour, plus absurdes les unes que les autres, prônées par les médias. Par exemple l’Appel de Paris en 2004, a été une très grande attaque envers la chimie. En effet, le cancérologue français Belpomme affirme dans son livre Guérir du cancer ou s'en protéger, que la chimie est la source majeure de l’augmentation du nombre de cancers, et qu’il faut donc supprimer la chimie de notre vie. En revanche, il omet, fort malhonnêtement d’ailleurs, de préciser que c’est grâce à cette dernière que l’espérance de vie a fortement augmenté, et que s’il y a de plus en plus de cancers, c’est parce qu’on les diagnostique beaucoup plus tôt, et que du coup, la mortalité due aux cancers diminue. L’entretien de cette peur de la chimie constitue une grande publicité pour ce genre de personnes, leur permettant ainsi de vendre plus de livres, de faire plus de conférences, etc. La France fait partie des pays du monde où on vit le plus longtemps, et pourtant on y est constamment entouré de chimie.

De même le réchauffement climatique est mis sur le dos de la chimie alors que c’est un événement qui arrive régulièrement depuis des millions d’années.

Les scientifiques, véritables connaisseurs de cette science, ne sont pas écoutés, les médias préférant s’intéresser aux « scandales » de l’industrie chimique, souvent injustement accusée à cause d’erreurs humaines qui paraissent futiles mais qui engendrent de graves conséquences.

Sans chimie, aucun progrès scientifique n’aurait été permis. Elle fait depuis si longtemps partie intégrante de notre vie que nous avons oublié son importance dans la vie de tous les jours, soulignant ses méfaits sans jamais louer ses bienfaits. En disparaissant, tout notre bien-être quotidien s’envolerait avec, des pneus de vélo, en passant par l’électricité pour nos appareils électroniques, jusqu’aux médicaments comme l’aspirine.

Quelles sont les solutions environnementales que peut proposer la chimie ?

La chimie est en quelque sorte la clef permettant de fermer la boîte de Pandore des problèmes écologiques. En effet, les recherches chimiques vont bon train, et, contrôlées de manière stricte, elles apportent de nombreuses solutions environnementales innovantes aux problèmes actuels. Par exemple, les scientifiques travaillent sur la création de matières premières renouvelables, autodégradables dans des conditions naturelles, sur la capture de gaz toxiques, sur la fabrication de matériaux pour l’isolation thermique, etc. Enfin, la chimie propose des  solutions dans les domaines de l’énergie, de la santé et de l’environnement.

Propos recueillis par Jihene OUESLATI et Nafissatou BAIO

 

 

Lors de sa conférence, Gérard Férey a soigneusement répondu à notre question qui était : « Que pensez-vous de la façon dont la chimie est enseignée à l'école en général, et plus particulièrement au lycée ? » Il affirme que l'enseignement de la chimie dans les établissements scolaires français n'est pas la meilleure qui soit. Néanmoins, il insiste sur le fait que cette critique ne s'applique en aucun cas aux enseignants : elle s'adresse plutôt au ministère et aux inspecteurs généraux, qui inventent des programmes trop élaborés pour des délais trop courts, que les enseignants sont contraints de respecter. Il a fini par souligner le fait que l'Académie des Sciences ne reste pas indifférente face à cette situation, et travaille très dur pour trouver des solutions à ce problème.

Valérie LAZARRE et Hana RABAH


 


Dans le Panthéon personnel de Gérard Férey, figure Marie Curie. Pour lire l'allocution dans laquelle notre invité a rendu hommage à la grande chimiste, cliquez sur l'image.

Et pour retrouver la conférence de Gérard Férey, cliquez ici.  

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